A comme alchimie

Publié le par xavier

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A comme alchimie
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Avec une insensée obstination il s'attachait
(en vain?) à transmuter la nuit en lumière
Les relents du chaos en fraîcheur de menthe
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Aïlenn à côté de lui appariait les couleurs
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Subtile, extralucide et précieuse comme le silence
Elle cicatrisait autour d'eux par sa présence
souffrante les plaies d'un cosmos centrifuge






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Glasnost
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Un hiver qui semblait tout juste sorti d'un sépulcre
régnait là où le sédentaire eût volontiers
installé juillet à demeure
avec des filles en jupes courtes qui rieuses
passent sur la route
en se racontant des histoires de coccinelles
et de garçons obtus et maladroits
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Sur le quai de la gare un juge attend
dans sa toge de jais lustrée une serviette en cuir
nuance tabac contre sa poitrine
Ses lunettes Le verre de gauche est fendu
Il respire une buée sitôt dissipée
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Peut-être dans un fracas de freins qui grincent
sur l'acier des rails un train viendra-t-il
raccorder les brisures d'un réel
épars ainsi que pattes d'araignée
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Pensif tu revois cette glace d'un magasin
(Le boulanger semble-t-il)
qu'une pierre avait étoilée merveilleusement
Tu as oublié qui était le coupable
mais toute la bande s'était éparpillée tout à fait
« comme une volée de moineaux »
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Une étoile - disait Joe Bousquet -
n'a de limite qu'en son centre !







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Quatre, deux, trois
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Avidement il se jetait sur les poèmes des autres
par désespoir des siens
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Que la seule langue de son pays pût engendrer
tant de formules
hantées d'un sphinx qui n'existe qu'en esprit
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Voilà qui ne laissait pas de le sidérer
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Et parfois de l'ébranler jusqu'aux limites de la rupture
comme un chène que le vent fait craquer
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Cela n'étonnera personne que le point du jour
nous trouve sans forces…






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Double vue
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L'on aura tellement préféré porter nos regards sur les choses les plus simples
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que l'on est souvent à un cheveu d'oublier que la simplicité n'a aucun rapport avec le « réel ».
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Elle ressemblerait plutôt à ce joueur d'échecs qui par commodité aurait réduit son échiquier à quatre cases, deux noires, deux blanches.
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Et sur chaque couleur ne resterait qu'un fou, un noir, un blanc.
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Le Simple est peut-être notre vision préférée, mais celle-ci ne rencontre jamais la réalité de l'Univers.
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Allons plus loin : l'on vient de démontrer que, les ondes gravitationnelles, les « gravitons » pour la physique existent.
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C'était l'hypothèse logique d'Einstein. Elle nous permet d'user plus puissamment de la « réalité » sans clore la connaissance que nous en avons.
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On peut même considérer que comme toutes les avancées de l'esprit – vers quoi ? Il ne sait ! - la dernière trouvaille de la physique relativiste ouvre la voie à davantages de questions qu'elle n'en résout.
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Comme en poésie les deux infinis du Chaos se croisent sans se confondre au sein de la conscience humaine.
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La simplicité, illusion, élusion.










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Lignes d'inconduite !
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À l'Ignorant, que reste-t-il pour un peu de lumière, si ce n'est d'être aimé par la Beauté ?
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Une sorte de grâce dont le charme n'aimante pas tout le monde avec la même sollicitude, mais invite…
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Sans avoir trois têtes comme Cerbère, assumons néanmoins d'être les Gardiens du Seuil. Feignons que ce soit celui du temple des Millions d'Années.
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Que les choses difficiles à débrouiller pour l'esprit s'adressent au coeur avec l'efficacité de l'évidence. Coeur qui noue et qui dénoue.
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J'aime si peu – à l'instar de chacun – être mal jugé, que j'implore, pour ce que disent mes écrits, le bénéfice du doute.








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Jusqu'à l'insupportable
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Ces moments où la déchirure du monde apparaît nue
et la vie bifurque soudain
comme un train à l'aiguillage
et c'est sans retour avec loin derrière la fumée du passé
dont les cendres finissent de se consumer
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Là est le véritable tragique avec son sang noir d'amertume
Celui qui montre l'obscur gouffre futur
Qui laisse prévoir d'irrémédiables actes au milieu
de la foule des imbéciles
Gouffre du deuil qui attire les assassins comme les victimes
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Exister est si pénible pour certains
qu'auprès de vivre - le néant a des airs de Paradis.




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Détachement
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Souvent je songe à ces médecins légistes
qui se penchent sur la puanteur des cadavres
lorsque je m'incline sur les personnages que chaque jour
je fus à cause de ce profond dégoût
que par bourrasques et crises m'inspire l'humanité
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Combien j'admire ces gens légers inconscients optimistes
Héroïques rescapés des galeries sombres de la vie
ou bien esprits chanceux et naturellement bien tournés
qu'aucun miroir ne force à rencontrer leur vérité
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Le coeur serré j'observe par la fenêtre
minuscule un pouillot véloce explorer le lierre de la haie
Même les êtres qu'on s'exténue à aimer -
leur existence à la fin ne nous console plus
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Cette fuite, cet abandon des choses dont une à une
insidieusement
les radicelles se détachent de nous
ne laisse sur ses multiples trajectoires
que déception et coeurs broyés








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Notation fugitive
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Le mépris même justifié
que manifestent les uns envers les autres
une bonne part des êtres humains
par exemple les poètes entre eux
m'attriste toujours
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En général on ne mesure pas
pour qui n'est pas doué
l'héroïsme qu'il y a dans le domaine
artistique ou littéraire
à créer une œuvre fût-elle médiocre
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Pour ma part
j'en sais quelque chose !







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Seul parmi les rochers
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Seul parmi les rochers au bord de la mer
dont tu sens froides parfois de larmes un crachat
sur ta vieille joue le doigt
mouillé en l'air tu cherches d'où vient le vent
Tu te figures un moment que ce pourrait être le présage
de la venue d'un ami
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Ce n'est que fantasme bien-sûr car nul ne viendra
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Excepté quelque goéland anonyme et criard
qui possède l'air entier pour compagnon
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Par désœuvrement tu pèses et soupèses
au tébuchet du coeur quelques syllabes obscures
que tu finis par griffonner sur ton carnet de poche
sans illusions sur la réalité
dont elles se voudraient garder le témoignage.






(Roquebrune -2013)





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Absence imaginée
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Inexplicablement elle n'était plus là
Une aurore qui ne répondait plus à l'appel du sel
Point de lumière pour flatter son pelage abandonné
Rageur le gouffre bleu déchiquetait ses rivages
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Le lune y plongeait sa lame d'étain pauvre lueur
que les vagues refusaient de prendre en charge
Qui pouvait élucider la raison de cette éclipse
dont personne ici n'avait été averti
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Une peine de plus songeait l'écureuil dans la fente
de tel arbre favori qui avait troqué contre un panache
de brumes son feuillage de l'été
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Inexplicablement elle n'était plus là
Ni ses paroles ni ses songes ni ses regards pensifs
tournés vers la mer Nuages chrysanthèmes et couchant


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Ineptie
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Ne va pas en ces contrées de subterfuges
et de déserts aux dunes lunatiques
imaginer qu'il y a quelque chose à croire
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quelque chose à espérer parce que la garde
montante des constellations existe
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Les amitiés rejoignent la poussière funéraire
Celle des urnes éteintes et des cendres brisées
Or nous parlions en nous souriant au visage
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Nous étions abandonnés Le souffle évanoui
L'humanité en nous plus fragile que cristal
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Notre chair frémissait de la conscience de la mort
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Occident
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On tourne la tête et – personne !
Nous parlions encore ensemble naguère
puis sans motif, la disgrâce, l'étendue avec les rails
de la solitude qui, vides, se rejoignent à l'infini…
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À pieds jusqu'à la place de la Bastille
où se dore au soleil l'inaccessible Génie
transi de froid, nu comme un vers
que n'habille aucune image !
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Seul ? Une pierre, dites-vous ? L'universel
mensonge tendant aux ténèbres sa torche de feu !
Étrange étoile au dessus de ta tête – pareille
à cette goutte de lumière dont s'éclairent
les poissons efflanqués des abysses !


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Un dimanche de février 6 h 45
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Petite froidure d'hiver
comme un baiser sur la joue
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L'oiseau noir dans le peuplier blanc
gratte sous son aile déployée
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Le soleil clair dans le ciel sombre
griffe trois gros nuages
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L'air sent la neige La ville se tait
À travers les murs passent des fantômes
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Qu'importe puisque l'enfant que j'aime
rit follement dans un halo de boucles d'or


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Imparfait monologue de juillet
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Sera-t-on lassé de m'entendre dire que mon ciel
est plein de larmes qui ne tombent jamais
retenues par la voûte azurée de mon pays natal ?
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Là-bas est la sœur le frère adoptif les neveux les pins
où jouent follement les écureuils de ramille en ramille,
les écureuils vertigineux qui n'ont pas le vertige !
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Cachées du côté ombre les cigales qui sont pareilles
à des bijoux incas - oblongs pendants d'oreilles -
pour la lumière immense exécutent l'hymne au soleil
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La nuit sur les prés qui embaument le fenouil et la sariette
Et le thym et le serpolet, on voit aux pentes des collines
la lune se rouler du haut en bas, semant des perles de rosée
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qui brillent au matin comme les larmes de la Vierge,
dirait-on, car seul un miracle peut faire pleurer la pureté
de mon ancien pays depuis longtemps quasiment disparu !




(07/1989)





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Spectre au retour
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Ce samedi déjà tard tu reviens dans la nuit
L'autobus t'a déposé à quelques pas de ta rue
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Tu croises un couple en dispute - la fille a l'air
d'une dame oiselle en train de secouer ses plumes
à travers l'espace On dirait qu'elle éclabousse
autour d'elle les choses d'un duvet pareil
à ce qui sort d'un polochon crevé au cours
d'une de ces batailles nocturnes entre cousins
qui les jours de congé enchantaient notre enfance
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La valise ronflonne en roulant sur l'asphalte
granuleux du trottoir Le couple est loin à présent
Dans ton dos la rumeur de reproches décroît
Aux vitrines éteintes se reflète un spectre qui est toi
vaguement éclairé par les réverbères jaunâtres
De temps en temps tu jettes un regard à ce double
décoloré qui ressemble à une version – disons -
déjà défunte de toi-même !






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Trois fois rien…
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J’ai guetté l’horizon Rien n’est venu sinon l’air salé qui plaint sa propre solitude
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Toujours à distance respectable un oiseau menu compte en sautillant les grains de sable
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Puis s’envole pour aller faire son rapport au nuage qui rôde autour de la cheminée désaffectée
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Nuage rose d’espoir que l’on voit s’attarder jusque avant dans le crépuscule en rêvant
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D’épouser une svelte fumée avec la bénédiction du clair de lune aux faux airs de curé
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J’ai guetté l’horizon Rien n’est venu sinon l’air salé qui plaint sa propre solitude
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Froissant dans mes paumes une tige d’anis je regarde alentour pour en faire respirer le baume
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à quelque Amour au visage complice Personne Alors je ramasse un clair coquillage pour le cas
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où tu voudrais Beauté l’emporter partout afin d’avoir à loisir l’occasion d’entendre la mer
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ou de te figurer que debout sur son ciel inverse et nervuré de nacre lunaire tu parais sur les flots
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J’ai guetté l’horizon Rien n’est venu sinon l’air salé qui plaint sa propre solitude
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Pas de sourire mystérieux Pas de fascinante nudité aux seins divergents et triangle de mousse dorée
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Pas de voix pour murmurer mes poèmes et en faire des structures d’invisible cristal
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Pas de fente merveilleuse du sexe pour que j’assiste au commencement fulgurant des étoiles
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À distance respectable un oiseau menu sans fin compte en sautillant les grains de sable
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Et moi je guette l’horizon d’où rien ne vient sinon l’air salé qui plaint sa propre solitude.








Écoute la nuit écoute le vent
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Écoute la nuit écoute le vent
Au fond des étangs des diamants scintillent
Ô cris de crapauds dans les joncs tremblants
Ce sont les effets d'étoiles qui brillent
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Au fond des étangs les diamants scintillent
J'aime ces clartés dans tes yeux charmants
Ce sont les effets d'étoiles qui brillent
Il faut oublier tes anciens amants
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J'aime ces clartés dans tes yeux charmants
Ta petite main qui cherche la mienne
Il faut oublier tes anciens amants
Tu trembles de froid Veux-tu qu'on revienne
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Ta petite main qui cherche la mienne
On dirait l'oiseau qui n'a plus de nid
Tu trembles de froid Veux-tu qu'on revienne
L'amour, ça réchauffe et ça réunit
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On dirait l'oiseau qui n'a plus de nid
Dans la chambre tiède où luit la veilleuse
L'amour, ça réchauffe et ça réunit
L'heure qu'on vivra sera merveilleuse
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Dans la chambre tiède où luit la veilleuse
Écoute la nuit écoute le vent
L'heure qu'on vivra sera merveilleuse
Ô cris de crapauds dans les joncs tremblants




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Fleur-icône
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Glaïeul grappe droite et nacrée
lame luisante hors du fourreau
comme Vérité nue
que viens-tu percer l'étendue
de mon songe enneigé ?




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Amours malades
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(Pour A. et E. )
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Pendant le sommeil de fièvre et par la baie vitrée
les allées et venues des oiseaux inquiets
(toi les yeux clos dans tes blondeurs éparses)
j'écris pour occuper le temps et jeter quelques mots
(si pâles qu'ils ont l'air extraits d'un ossuaire)
en pâture à la meute enragée de mes angoisses
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Ce rongement des heures aboyeuses
comme gueules de ressac aux crocs d'écume
plantés dans les anses tendres des rivages
J'écris pour occuper le temps rongeur
dont la gorge dévoile sa noirceur de mort
tel au fond d'un tunnel un gouffre se rapproche
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J'écris ce qui n'a pas de sens L'amour désemparé
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Le chagrin l'impuissance Ô chanson tranchée net
par le clic du bouton qu'actionnait un doigt inconnu
La nuit qui anticipe une autre nuit Les livres qui
tour à tour nous tombent des mains sur le plancher
et restent pêle-mêle ouverts sur pages au hasard
dressées ainsi qu'épis rebelles d'une chevelure
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Odeurs des douleurs Senteurs vagues d'hôpital
L'âpreté de la vie affleure luisante et nue
comme un roc érodé par les intempéries
Poudre des terres envolées Plantes disparues
avec les circonvolutions cruelles de la vie
Je ne peux expliquer Je ne peux rien expliquer




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Consolatio
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Je taillerai dans le ciel gris une éclaircie,
une échancrure azur, avec le couteau
idiot des mots qui sont ma seule arme,
le chuchotis acéré du fil du coeur
qui traverse l'hiver blanc et vide.
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Dans le ciel gris une éclaircie en forme
de fleur à six pétales et pistil de soleil :
un rayon en tombera droit sur ton front
brûlant, rayon pur comme un doigt de fée.
L'air soufflera son frais parfum de giroflée.
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De la forêt sépia des cauchemars je rêve
que tu t'éveilleras, qu'avec un soupir tu
m'offriras le regard de tes yeux d'eau verte,
comme après le passage des siècles se sont
ouverts ceux de la belle au bois dormant.






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Magot du marigot
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Il me plaît, pustuleux, installé comme un phare
sur son îlot né nu / prasin ? , le crapaud laid, touchant,
qui darde ses yeux d'or vers le soleil couchant,
par-dessus la blancheur pure d'un nénufare !
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Quand au ciel il célèbre une étoile en fanfare,
l'orthographe n'est pas un souci pour son chant !
Il a la langue longue et vive, (et le sachant,
sur l'étang, le moustigre est fin, qui s'en effare.)
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De lui je suis cousin, comme lui croachant,
Comme lui déplaisant, comme lui me mouchant
Dans l'opinion du peuple agité de la mare.
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Baveux et saliveux, assis comme un magot,
Auprès de tel Amour qui comble mon ego,
Si je suis critiqué, simplement je me marre !






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Vanité
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Ce qui chez les bipèdes me surprend le plus
c'est cette intime peur : n'exister pour personne !
Une constante issue (dit-on) du fond des âges
L'ermite veut penser qu'un dieu l'observe – lui,
spécifiquement lui, gérant son cas érémitique…
Un autre use de l'art, du crime ou de la politique
ou de n'importe quoi qui puisse exciter les médias.
On donne dans les sports ou dans l'humanitaire
afin qu'aux yeux de tous nos qualités reluisent.
On lance à l'univers cent défis insensés en jetant
pour les plus courageux leur vie dans la balance
Être illustre ou mourir prennent-ils pour devise
Pourtant lorsqu'on est mort, où est la différence
entre être un mort célèbre, et un mort ignoré ?
La plupart des vivants n'ont aucune mémoire.
Notre crâne aura beau briller comme l'ivoire,
dans le noir d'un caveau rien n'est à éclairer !

















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Herpes marines sur l'estran du siècle
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Cruelle la beauté que d'aucuns exigent « moderne ».
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Approche, intime splendeur, consume les épaves du désastre.
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Ce qui tente de sculpter les ruines de la nuit, s'appelle espoir.
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Qu'espère l'espoir ? Un battement du sang qui se change en musique ?
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L'admirable horreur de la nature, à présent que notre cerveau l'a falsifiée, comment lui rendre justice ?
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L'optimisme aveuglant compromet. Le pessimisme radieux ménage.
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Tirée au sec, la barque retournée. Elle ne traversera pas la baie jusqu'aux bancs d'étoiles attentives.
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Ce qu'il écrivait formait des nœuds trop serrés pour qu'il leur échappe.
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Une beauté nue et tranchante comme flamberge au vent.



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Autosculpture
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Grâce au scalpel de ma langue maternelle, la poésie retranche peu à peu de mon être tout ce qui interdisait à la mort de me reconnaître.
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On dirait le sculpteur face au bloc de marbre qu'il dégrossit et va intailler jusqu'à donner à lire dans ce qu'il en restera la forme d'un ange.
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Creuser ce qu'on est par rafales incessantes d'inspiration jusqu'à devenir une personne érodée de ses petitesses, faiblesses et hontes superflues…
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Je n'ai pour visage que la fraction la plus banale de l'être en quoi est tissée ma vie. Par la poésie je m'efforce de le quitter comme on ôte un masque d'or.
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C'est Venise, le bal de la vie, la féerie, la dame éblouissante à chevelure de silence et regards où vacille un tilleul. Elle exige qu'on arrache son loup avant l'amour.
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Si le parfum des giroflées tourne dans l'air du soir, comme disait Baudelaire, c'est parce que l'ombre te cache que tu est tout près de l'exquise, éternelle douleur d'aimer.
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Sache que les torrents de lumière qu'irradie en tous sens l'anarchie poétique, musiques ineffables, sensations inouïes, leur source est au plus noir du coeur.






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Sous la surface
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Obtenir la perfection dans l'inachevé, pour faire écho sans illusions à l'esthétique de ton siècle…
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De glaires glauques qu'entrechoque en moussant la lessive des océans, extraire les fresques mutines des Atlantis !
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Ruines enguirlandées de chlorelles et de varechs, où sont serties des vulves de nacre rose et autres coques sexuées !
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Visiter à dos de dauphin étincelant de soleil les altitudes irrespirables que rythment nuées de poissons-lunes et bancs de vapeurs !
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Il y aura les ramifications pourpres d'un corail sans pareil, encombré d'anémones écarlates aux chevelures volubiles, et de coquelicots épanouis entre lesquels ondulent les corps des sirènes à queue argentée...
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Bien sûr, s'y adjoindra quelque épave ancienne à la proue contournée, à la poupe de bois polychrome, avec mâtures surchargées de lianes marines et de haubans pourrissants.
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Dans la cale profonde, caché au détour de l'obcurité qui rouille les métaux, peut-être un coffre, plein de mots comme diamants, rosée, rubis, éternité, lingots d'or, tremble-t-il au sein du liquide sans étoiles ;
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Le plongeur aventureux qui l'ouvrira, capable de prendre son souffle plus profondément que tous, n'est probablement pas encore né.


Anxiété du feu
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Cette terrible distance, espace, nuit, maladie, froissements du temps à travers les feuilles, parfois tour à tour soulevées, chiffonnées, ce silence de fièvre – tout cela venant de toi me déroute. À contre-désespoir, je rêve des pales de lin triangulaire en lesquelles tourne chaque soleil du Lassithi, suite de blancs carrousels aux moyeux alignés des moulins veillant sur l’arête du meltem, devant qui se courbent les pins obséquieux.
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Élucider la beauté de cet azur, au soir moucheté de nuages ainsi que la plaine violette par les oliviers, la nostalgie de ces roches rougies par les lichens pareils à ceux de la garrigue de chez moi, comprendre comment tant de siècles sont restés l’écrin de tant de rêves, telles sont les tâches auxquelles je m’astreints pour me distraire un moment d’affronter ce qui me mine : l’effarante fragilité que confère l’amour à ceux qu’on aime…
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Lâchement, je laisse la plume crème de mes songeries battre les airs grisants et grisés de l’éloignement, s’affoler en essaims aux falaises d’un littoral irréel, abruptes comme les écrans successifs d’une mémoire en laquelle tout ce que j’ai indistinctement imaginé et vécu, est pétri. Je me veux mouette, je me veux goéland, puffin, albatros, pygargue, tout ce qui peut tracer sur l’incommensurable étendue l’alphabet de la liberté !
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Qu’à quiconque apparaisse comme une évidence la foncière illisibilité de ce que j’écrit, voilà qui n’a rien pour me surprendre. Et si en place d’un alphabet d’oiseaux, j’étais capable ainsi qu’un lent noyé de descendre aux altitudes glauques des abysses, ce serait alphabet de poissons aux reflets de mercure et d’argent que j’utiliserais. L’oxygène de mes paroles s’élèverait en miroitantes bulles fluides jusqu’à la surface…
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Elles emporteraient les regards, ainsi que ceux des petits enfants, les bulles de savon ! En leur brillance incurvée s’épanouissent des fleurs de sommeil ; des idées philosophiques foisonnent en déroulant leurs spirales greffées de motifs géométriques ; rien de ce que je comprends ne reste en place, les passages du réel filent en se déformant le long des garde-fous de ma vie. Et tout ce que l’amour assure est festonné de crainte.
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Au nid de la langue de chez moi
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Que dit la langue pour le plaisir de donner libre cours à sa propre beauté ? Notre attachement aux visages français des mots s’irrite, s’indigne du plus minime signe qui leur manque.
Les charnières qui les organisent nous pensent. Les sonorités qui rythment le parler de nos sentiments sont le filet en lequel se prennent certains silences indispensables à l’irraisonné, que concrétisent les -e muets, avant d’éclore !…





Légumes
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Une épreuve insolite
que d’ouvrir le livre d’un de ces grands poètes fameux
dont chaque page trouble (par son invention verbale
par la stupéfiante virtuosité du dire,
par la dimension grandiose et saisissante des images)
le misérable lecteur sans talent
assis devant le plan de travail de la cuisine
où sont étalés attendant d’être épluchés
oignons intacts et bleus auxquels on n’a pas volé leur « i »
patates douces qui feignent d’être des mottes de glaise
poireaux qui s’étirent – du blafard au vert véronèse
puis à l’émeraude tendre –
carottes pointues couleur corail, aubergines renflées lustrées
courgettes radis bintjes artichauts pommés
autant de merveilleux légumes dont la simple présence
a la même intensité que l’être des choses
l’être intransgressible comme le béton d’un mur
abrupt, face aux essaims de caractères blêmes
aux lignes des mots sur les pages translucides
frêles et tremblantes dans les courants d’air
avec leurs vers qui veulent offrir du sens à l’Insensé
qui poussière d’encre au moindre souffle s’éparpillent
en cendres volantes
tandis que la puissante blancheur d’une belle endive
ridiculise la nudité de la page vierge.



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Crépusculaire
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Qui pleure à cette heure
derrière les volets fermés
On dirait un démon triste
mélancolique, enrhumé
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Tous seuls dehors s’agitent
les gourmands des rosiers fanés
Aux cieux des oiseaux solfient
l’air des nuages étonnés
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En avant penchent le cou
chuchotants et goguenard
à l’enterrement du jour
les ormes en habits noirs…


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Au quotidien
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Ce midi, alors que le temps a passé,
mal rasé dans le nickel miroitant du mitigeur
qui me déforme bizarrement,
je me vois mettre au four une quiche.
Il y a tant de mystère dans l’éventail des rayons
richochant à travers l’univers !
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On pourrait tout à l’heure aller
en promenade au bord des étangs,
à Ville d’Avray par exemple, on ferait
bondir des galets qui traceraient les arches
d’un pont invisible sur la clarté de l’eau…
Au loin s’effacerait un arc-en-ciel...
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Les boutons d’or secoueraient dans la brise
un pollen de silence apte à envahir l’azur.
Sur la rive les petites pierres taquinées de vaguelettes
s’enveloppent de mousse et se renferment
sur leur for-intérieur. Nos pas s’impriment
dans la boue à peine sèche. À l’aube, il a dû pleuvoir.
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Le minuteur de la cuisinière sonne.
Je lève les yeux de ce que je lis
et j’aperçois ton regard qui me protège
vertement de ce que je suis.
Un couteau, je découpe la quiche ; verse
du vin. Nous allons déjeuner ensemble
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tranquilles, comme si la poésie n’existait pas.








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Une journée vague
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Que flûte fasse pleurer sans bruit les pierres !
J’irai dans le jour avec mon roseau taillé
à la rencontre de l’oiseau convoqueur d’aurore,
là-haut perché sur le pin à côté d’un nuage rose.
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J’irai la poitrine gonflée par le froid pur de l’air
qui tombe des montagnes aux cols blancs.
Un souvenir affreusement triste s’effacera
et des visages s’enfuiront en tourbillonnant :
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je revois des ballons de baudruche lâchés
soudain qui couinent, ronflonnent et choient
plats et flétris pour la joie de bambins hurlant
de rire – encore, encore, ballons-cochons !
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J’irai par les prés, chevilles mouillées de rosée,
jouant des airs si vieux que même les péruviens
les ont oubliés. J’aurais l’âme sereine et grave,
respirant dans les sous-bois l’odeur des siècles…
.
Au foisonnement des toits rouges de la vallée,
dans mon regard je substituerai le foisonnement
vert des fougères. L’écho répondra depuis la paroi
vertigineuse du baou. Heureux, j’errerai jusqu’au soir.


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Variations entre chat et tigre
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Entre le langage du poème et celui de la cité, autant de distance qu’entre musique et bruit.
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Rien à enseigner, juste ficher en chemin quelques panneaux indiquant « par là, l’univers de soi-même ».
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L’insaisissable secret - que l’on pressent fort bien à distance - s’évanouit de trop de proximité.
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Ce qui émeut en lisant une phrase, c’est l’intuition que son sens oblitère heureusement celui du temps qui passe.
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Le collier sonore d’une phrase en quetchua, en aymara, en russe, en grec, en chinois, en espagnol…
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Ce que disait ton poème, je l’ai moins entendu que ce qu’exprimait le ton qui en sous-tendait l’énonciation.
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Sous les miroitements d’un pelage inoffensif, que ta parole dissimule un abîme humain qui ne soit pas feint.




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Un ami de Pythagore
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Il ne redoutait pas le vent mais la fin du vent :
que ne volent plus jusqu’à lui les ailes du soleil
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Il eût voulu que les cirrus soient une crème douce
propice à protéger la peau du ciel d’un bleu si pur
.
Pour lui le monde était un être jeune, un enfant,
un quasi-compagnon, pour ainsi dire consanguin
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La courbe d’un ruisseau limpide sur de blancs
cailloux était à ses yeux une forme de sourire
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L’argile douce à ses paumes, une chair complice
Les joncs hirsutes, une efflorescente pilosité
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Une planche de caroubier aux veines belles
à caresser du pouce en toute leur longueur
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lui semblait un signe d’amitié pour l’ébéniste
qu’il observait à l’atelier façonner des miracles
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Le monde alors n’était que refrains bienveillants
dont les clartés tournaient comme feuilles au mistral
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Une espoir toujours neuf frémissait obstinément
au coeur des frondaisons pensives des matins
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Les prés développaient leur table d’émeraude
vers l’horizon tressé de mille vies mouvantes...








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Vaches d’alpage
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Discrète affection pour les vaches vautrées sur le foin fleuri des prairies, les pensives qui fixent tout en ruminant la ligne bleue des crêtes
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de leurs yeux andalous. Et leur museau humide quelque fois laisse échapper un long soupir caverneux. Sans doute songent-elles
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à la stupidité meurtrière des groupes humains qui pourtant avaient commencé avec elles – les douces têtues, les joyeuses, les placides…
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Dociles, tachetées de robe ou bien unies, cornes en lyres ou double crocs de lune, les voici traçant le sentier à flanc de pente, clarines sonnantes,
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Aimons les suivre sous le ciel, au col herbeux que frôlent le nuages, alors qu’alentour les monts nous cernent des toits d’ardoise d’un grandiose village !


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