En observant tes pieds...

Publié le par xavier

En observant tes pieds

.

En observant obstinément

tes pieds tu t'avances dans l'irrémédiable

.

Sur ton épaule gauche un perroquet fictif

dont tu ne sens que les pattes

te murmure toutes sortes d'insanités

.

En observant obstinément

tes pieds tu t'avances dans l'irrémédiable

.

Autour de toi le monde mêle abjection et beauté

Tu croises un joli visage adolescent

Impossible aujourd'hui de savoir si c'est fille ou garçon

.

En observant obstinément

tes pieds tu t'avances dans l'irrémédiable

.

Les gens devant les vitrines éclairées

parlent tout seuls dans leurs téléphones

comme autrefois les clochards à l'esprit dérangé

.

En observant obstinément

tes pieds tu t'avances dans l'irrémédiable

.

Au moins ces errants s'adressaient-ils

à quelque invisible divinité

et non à leur collègue de bureau ou de coucherie

.

En observant obstinément

tes pieds tu t'avances dans l'irrémédiable

.

Toi tu est l'être d'un seul amour hélas

dont tout autour de toi est imprégné comme un buvard

qu'envahit lentement une tache couleur de sang

.

En observant obstinément

tes pieds tu t'avances dans l'irrémédiable

.

.

Rivage

.

Vent d'automne vent d'hiver

À contre-souffle tête la première

.

Sous les branches les arbres chantent

à voix de nymphes désaccordées

brisant dans l'étang le cristal des nuages

.

Vent d'automne vent d'hiver

À contre-souffle tête la première

.

Je ne suis pas d'ici Pas d'ici mais d'ailleurs

Là-bas la mer est tiède et les gens sont meilleurs

Aux arbres bleus on voit des galets de couleur

.

Vent d'automne vent d'hiver

À contre-souffle tête la première

.

Pour marcher dans les rochers instables

tu me donnais la main feignant la peur

La vague éclaboussait le sable et tes pieds nus

.

Vent d'automne vent d'hiver

À contre-souffle tête la première

.

L'été dans les flaques saumâtres

jetait des feux qui s'allumaient comme des fleurs

Et le soir on restait longtemps coeur contre coeur

.

Vent d'automne vent d'hiver

À contre-souffle tête la première

.

L'air était jeune et respirable dans mes bras

Ton haleine douce murmurait tout-bas

Et ce que tu disais ressemblait au bonheur

.

Vent d'automne vent d'hiver

À contre-souffle tête la première

.

.

Juanito Laguna

.

Une chanson familière de ma vie d'autrefois,

à la surface de mes années ramène,

au fil de ma mémoire, Juanito Laguna

son cerf-volant et son espérance d'azur !

.

Quelle admiration il faut réserver

à des personnages comme ce garçon !

Ils ont cette puissance de vivre

radieuse à travers toutes les mélancolies !

.

Comme si misère et favelas n'avaient pas

de prise sur l'humeur ensoleillée des enfants.

Comme si leur élan vers la survie et la joie

avait désillusions et chagrins pour carburant !

.

Instant

.

Ce serait comme un navire tanguant sur les arpèges de la mer,

la voix de mon roseau comme l'eau glissant au long de la coque.

L'odeur de l'iode imprégnerait le pont mouillé aux lattes parallèles.

Au loin profilés balancent les palétuviers d'une île chimérique

d'où les sautes de vent apportent le rasgueado grêle du charango...

.

La Justice

.

Quoiqu'il arrive, certains n'ont droit qu'à la nuit. Le grincement des brindilles entre elles, dans les buissons qui font des cauchemars végétaux à base de gel, de taille haies, de jardiniers féroces ! Le grincement inaudible de la pleine lune qui scie un nuage. La chouette qui hèle l'autre chouette dans l'obscurité feuillue du bois.

.

Au fond de leur coeur des pierres ivres de silence violet cristallisent des améthystes et des grottes accumulent les concrétions de quartz hérissées ainsi que de transparents oursins. C'est le même noir dont sédimente la substance du désespoir en la caverne de notre crâne, laquelle seule a quelque chance de résister au niagara des siècles

.

Songeant à nos enfants et aux enfants de nos enfants, à qui, dans un moment d'égarement couleur d'ivresse, nous avons transmis le flambeau mortel, nous nous présentons, vieillards, face à notre vie accusatrice. La voici à la fin de notre route, rocher de granit sourd en travers du chemin avec son serpent et l'aigle des nues.

.

Cités perdues

.

Qui peut comprendre ces poèmes

dont quelqu'un a dit qu'ils « pourraient rendre fou » ?

Faire semblant d'être consensuel,

faire semblant que nous pourrions ensemble donner

une réelle organisation au Chaos,

déclarer qu'est exacte une vérité collective

qui dépend du peuple au sein duquel on est né,

impossible !

.

Impossible de céder ! Impossible de croire !

Les civilisations sont pareilles à ces cités de science-fiction

que les illustrateurs dessinent en lévitation dans le ciel !

Elles sont chacune suspendues dans l'atmosphère de leurs langues,

mais il suffit que la magie de leur verbe s'en efface

pour qu'elles se fracassent au fond de l'abîme !

.

Qui se souvient d'Ebla ou de Tenochtitlan, de Lankhmar

ou de Lagash, de Mari, d'Urkesh, d'Uruk, d'Éridu, de Louthal,

de Tikal, de Lolan, de tant de mondes bariolés, merveilleux, étranges

bâtis de mains humaines en des travaux cyclopéens ?

Leurs parlers avaient coordonné leur éclosion,

rendu possible leur essor qui semblait immarcessible :

les malentendus et le silence les ont éteintes.

Le Chaos a gagné contre les sages et même contre les poètes

qui un temps, un temps seulement avaient cru l'apprivoiser !

.

Visage de l'Aleph

.

Confidentiel ce mouvement - hypnotique

comme des yeux de chat – ce mouvement

de la pensée

qui paraît et décline aussitôt son éclat

.

Un diamant aux facettes indéfinissables

Tout ce qui s'y reflète

aimanté par une envie de géométrie

.

Ou encore ces écailles magnifiées

de papillon qui clignent

lentement au soleil d'une giroflée

.

Ce qui me vient à l'esprit ainsi

voltige et par cercles concentriques embaumés

des tourments d'un oxygène scintillant

tourne autour du visage féminin

.

passionnément aimé

dont l'or masque en surimpression

l'univers qui fut ma vie...

.

.

Sous la glace
.
Casser la géode fabuleuse de notre langue maternelle, pour y trouver (peut-être) le brillant argenté qu’elle recèle – voilà ce dont, jeunes, rêvent les poètes, chineurs de silence.
.
Bien plus tard, acérés de s’être usés sur la pierre parolière, en eux s’atténue le besoin brutal de trangresser manifestement : si les coups d’éclat éblouissent, leur violence lasse.
.
Alors le poignard se change en archet, comme l’été en automne. Les intimes glissandi du vent caressant les feuilles font rougir les hauteurs, alchimie que le soleil achève en or.
.
S’efforçant de repousser l’insinuante influence du gel, la source extorque au noir un éparpillement de reflets magiques et sa transparence désaltérante bouillonne sur les cailloux clairs.
.
Même lorsque le site sera pétrifié par l’immaculé, lorsque neige aura tout simplifié, affaibli les échos et blanchi les apophyses des roches, l’eau chantera
toujours, libre sous la glace.


.

Notas fugitivas

.

En rond là-haut l'épervier à la lisière des futaies, refrain matérialisé du vent.

.

Le cycle du temps, hélas : mais nous échappons malgré nous à sa chanson.

.

Un chiffon de nuages, pour effacer de la vitre du désert illusions et mirages.

.

J'ai même connu des années heureuses, belles comme poulains échappés.

.

Voix aiguës de Mai, avec lauriers roses foisonnant, muselées désormais.

.

Ni je n'entendrai plus l'écho saturé de chaleur des cordillères de l'Août.

.

La poésie busquée, dansant parmi l'envol diapré de ses jupons de vigogne.

.

Auprès des joueurs de kéna, on apprend à gérer une folle joie désespérée.

.

Jour de spleen

.

Il fait tellement gris que l'on a l'âme à l'élégie

On se sent aussi vieux qu'un Dit de Ruteboeuf

.

Par son versant féminin ladite âme est régie

Ô cœur gros lourd et plein comme un oeuf

.

L'humeur oscille entre rhum agricole et mélasse

dans la maison de l'ombre aux ailes de corbeau

.

Aujourd'hui nul chérubin ne nous fera visite hélas

La solitude a comme un avant-goût de tombeau

.

Un appel indistinct me tourmente et m'inspire

Il est tout ensemble pollen d'ambre étoile et fleur

.

Le ciel boursouflé de nuages suggère le pire

Quelque part sans lumière il prépare ses pleurs

.

C'est par des jours comme cet aujourd'hui malade

qu'on se souvient - au milieu du présent déserté

.

ainsi qu'un vieux cargo par ses marins laissé en rade -

des amis de jadis qui nous ont de longtemps quittés...

.

.

Bilan automnal

.

La respiration de la planète

sous mes pas vivante

comme le pont d'un navire

.

avec pour figure de proue

le visage serein et féminin

du vent plaqué sur mon visage

.

Tente-t-il d'y décalquer ride par ride

le masque des années dorées

dont ma mémoire affuble le passé

.

Ou bien serait-ce que j'ai vraiment vécu

la merveille permanente grâce à quoi

Aïlenn sut enchanter le plus clair de ma vie ?

.

Talentueux poètes

.

Jamais le poème ne m'a laissé en repos.

Devant moi ainsi qu'une falaise blanche

en laquelle, avec un ciseau de vent,

une force mystérieuse m'enjoint de sculpter

toutes sortes de figures inexplicables...

.

Et jamais ce n'est simple, et jamais aisé,

toujours un combat avec l'ange,

une insomnie diurne, un effort déchirant

dont on ne devra jamais rien laisser paraître !

(D'autant qu'il est à tous inconcevable.)

.

Combien j'admire les autres poètes,

si doués qu'il alignent des vers magiques

avec nonchalance et s'ils publient un recueil,

des dizaines de lecteurs enthousiastes

font la queue pour l'acquérir chez les libraires ;

.

Aèdes qui parlent bellement de la nature,

du dieu caché dans sa création,

et savent rendre touchants mille détails

intimes de leur existence, alors qu'elle est

non moins banale et quotidienne que la mienne !

.

.

Extinction du poème

.

L'hiver d'autrefois. Son âtre face auquel on songe

un verre de liquide ambré suspendu entre les doigts

pour se sentir confortable. Et s'avance la nuit,

parmi le silence des choses assoupies, jusqu'à

l'ultime étincelle qui craque vaincue par la cendre.

.

Sous l'apparence éteinte ronronne la braise d'or ;

elle respire à peine sous la couche qui filtre l'oxy-

gène bleu. Errantes, des pensées hétérogènes sinuent

à travers l'obscurité de plus en plus épaisse...

Une porte s'ouvrira-t-elle à la volée, un courant d'air

.

va-t-il ranimer la flamme dont les dents soudain

vont étinceler en remâchant les ombres fatiguée

comme ces chewing-gum insipides qu'on se passait

et repassait au mépris de l'hygiène à l'école ?

Sur moi je sens peser la cendre opaque des siècles !

.

.

Antinomie

.

Maintenant que des satellites surveillent le globe

par toutes ses faces et qu'il analysent les profondeurs

de l'univers, l'imagination estime que l'humanité

peut se passer du regard ubique de telle ou telle invisible

divinité dont ses primitifs aïeux avaient eu l'intuition.

.

Se repose alors la question de ce qui fait exister

pour un simulacre d'éternité toute chose en splendeur,

depuis le ciel étoilé jusqu'au moindre champ de boutons d'or...

Et l'on demeure fasciné par la science édificatrice des castors,

des arbres ou des fourmis. Par l'aisance du vol des mouettes.

.

Par la science des saumons, des tortues, des migrateurs

spécialistes des eaux, des airs, des ondes magnétiques.

Par la Nature, en somme, avec son obstination amoureuse,

ses trouvailles prodigieuses que l'homme peine tellement

à s'expliquer : Nature pleine de sens quand même elle est Chaos !

.

Réminiscence fugace

.

Elle disait – je me souviens : à cette époque-là

je venais d'arriver, j'étais jeune, fraîche, je croyais

tout ce que vous me disiez... Mais maintenant

c'est fini, je ne vous crois plus, ni vous ni les

politiciens, ni les journalistes, ni les curés...

.

Moi, pendant ce discours, j'écoutais. Les nuages

se déformaient dans mes yeux-au-ciel. Une senteur

d'eau de Cologne flottait dans l'air. Une bise posait

par instants sa sensation de froid flocon sur ma joue,

me rappelant qu'en d'autres temps j'aurais pu être aimé.

.

.

La Maison-Dieu

.

Prenons tes cubes, Ezra, et construisons une tour.

Tu vas en riant te précipiter pour la démolir

de trois coups de patte ainsi qu'un bébé lion.

Je vais reconstruire patiemment une autre tour.

Narquois, à peine l'aurai-je achevée, tu l'effondreras

en éclatant d'un rire satisfait puis te jetant dans mes bras

pour te faire pardonner. Alors je reconstruirai encore

la tour de cubes, bien droite, bien haute. Toi, cette fois

tu me regardes un instant hésitant puis, subitement,

une force irrésistible te pousse à récidiver ! Moi,

inlassablement je reconstruis. Et toi tu redétruis !

Le même bonheur entre nous : je sais que les enfants

et les poètes ressentent la même impuissance. Tout

ce que je peux t'offrir, cher petit Ezra, c'est l'illusion,

- en détruisant d'un coup mes édifices avec la joie

de voir changée en force ta faiblesse - d'être un dieu...

.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article